Mathieu Blanc est Co-Head de RAISE Investissement, l’activité du Groupe RAISE dédiée aux opérations mid-cap et de capital développement. Dans ce cadre, il accompagne des ETI telles que Questel (services dédiés à la propriété intellectuelle), ou le groupe EFOR (conseil spécialisé dans les secteurs de la santé). A l’occasion des House of Finance Days 2021, il est revenu, au cours d’une table ronde organisée par le Master 225 de l’Université Paris Dauphine, sur le rôle du Private Equity face à la crise et dans la relance post-Covid.
2020 a été une année singulière pour le marché du Private Equity français. La crise de la Covid-19 a été un révélateur intéressant du fonctionnement de ces fonds et a permis de prendre davantage conscience du soutien qu’ils pouvaient apporter aux entreprises qu’ils accompagnent.
Dès les premiers signes de la crise, les fonds de Private Equity — RAISE notamment — sont venus au soutien des entreprises accompagnées et ont tenté d’apporter des réponses à un phénomène dont personne n’envisageait à l’époque ni l’ampleur, ni la durée. A titre personnel, j’ai été agréablement surpris par la formidable capacité de réaction des entreprises, PME et ETI qui, alors qu’elles étaient ébranlées, ont mis en place des process d’adaptation à la nouvelle donne en quelques jours seulement. Qu’il s’agisse de la production, la communication, l’organisation du travail… tout s’est orchestré très rapidement pour que l’économie continue de fonctionner. A tel point que, soucieux d’ajuster les business models, on s’est aperçu qu’une digitalisation était possible en un temps record, y compris dans les secteurs où elle était difficile à mettre en place, à l’image de la signature électronique devenue pratique courante. Cette capacité d’adaptation, remarquable, est à mon sens l’enseignement majeur des premières semaines de la crise.
A court terme, nous sommes venus en aide aux dirigeants, leur apportant notre vision et nos conseils pour affronter les problématiques qu’ils rencontraient, notamment sur le volet des ressources humaines. Le fait d’occuper cette place centrale au cœur d’un portefeuille diversifié nous a permis de recueillir l’information, la structurer et la relayer efficacement auprès de nos participations ; et donc de partager les bonnes pratiques. De même pour les questions de trésorerie : nous avons joué un rôle de conseil et de facilitateur entre les entreprises et leurs différentes sources de financement, qu’elles aient dû souscrire à des Prêts Garantis par l’Etat[1] ou lever de l’argent auprès de prêteurs privés.
Après avoir adapté leur business model, leur structure et leur financement pour certaines, les entreprises sont aujourd’hui entrées dans une phase de redéveloppement qui implique des défis non négligeables, dans la mesure où la crise a été financée par la baisse des chiffres d’affaires d’une part, et les mesures de soutien gouvernementales (PGE) d’autre part.[2] En effet, l’argent public déployé maintient sous oxygène le secteur économique depuis la rupture des cycles classiques des entreprises (chutes, dettes, recapitalisations, etc.), laissant apparaître de nouveaux cycles artificiels qui nous confronteront, une fois la crise terminée, à une vague importante d’opérations nécessitant des fonds propres.
L’enjeu est donc désormais de trouver des solutions pour financer la relance. Pour y faire face, la mission des fonds comme RAISE est d’accompagner les entreprises dont le business model est sain et les équipes de management robustes, en leur apportant des fonds propres, pour permettre un redéploiement. Le Private Equity peut réellement jouer un rôle clé tant sur le plan du financement que pour amener les entreprises à penser les solutions qui leur permettront de rebondir demain ; il faut alors mener des réflexions plus larges, à l’échelle de la filière. Chez RAISE Investissement, en étant à l’écoute de nos sociétés en portefeuille, nous avons identifié de nombreuses opportunités de build-ups, depuis réalisées, car nous sommes convaincus que ces opérations représentent un facteur de consolidation dans les filières des entreprises. Perçu comme un outil performant, capable de renforcer le tissu industriel français, il a d’ailleurs été le mécanisme privilégié pendant la crise.
Avec le recul, malgré la suspension de certains process, 2020 n’a pas été une mauvaise année pour le capital-investissement. Une fois passé l’effet « coup de frein » de mars et avril derniers, les fonds ont continué d’investir, et la compétition autour de beaux actifs résilients s’est relancée — dans les secteurs tels que la santé, le digital, les infrastructures… Au cours de l’année, 10 opérations ont dépassé le milliard d’euros, dont les 2 plus importantes opérations de LBO jamais réalisées en France[3], et RAISE Investissement a pu se placer parmi les 12 plus gros deals avec Babilou et Questel.
Si le Private Equity français a réellement les moyens financiers pour intervenir auprès des entreprises de son marché, cela ne saurait suffire dorénavant. La situation sanitaire actuelle doit amener le Private Equity à se repenser, à s’orienter vers des modèles plus durables et plus engagés : la relance doit aussi passer par l’instauration d’un modèle d’investisseur responsable.
Les critères ESG occupent désormais une place centrale dans l’écosystème financier, démontrant une volonté à la fois de transformer la façon de faire vivre les entreprises, et d’accompagner les changements sociétaux. Les problématiques ESG interviennent aussi bien dans les relations avec les LPs qu’avec les cibles d’investissement. Il ne s’agit donc pas d’une initiative purement marketing comme on a pu l’entendre, ce d’autant que la corrélation entre respect des critères ESG et performance financière tend de plus en plus à se confirmer.
Ainsi, le Groupe RAISE s’est engagé à mesurer plus précisément la performance extra-financière des entreprises qu’il accompagne, à travers des axes d’amélioration définis, la plaçant ainsi au cœur des stratégies. Il faut encourager ces entreprises actrices du changement, les soutenir et faire en sorte qu’elles progressent encore. Afficher des objectifs et exigences en matière de durabilité, de respect de l’environnement, comme socialement en faveur de la parité et de la diversité, c’est adapter le fonctionnement de l’entreprise avec la volonté d’opérer, au travers de ce changement, un impact positif sur la société. C’est là tout l’enjeu que nous voulons porter.
Parce que la crise a heurté notre croyance d’infaillibilité, cette année plongée dans un monde d’incertitude et de volatilité très fortes nous a appris l’humilité. Et de cette expérience, qui a eu le mérite de replacer l’entreprise au cœur de l’écosystème comme un bien commun partagé par tous, nous voulons retenir notre capacité à nous adapter, même à l’imprévu le plus grand.
Mathieu Blanc, Co-Head de RAISE Investissement
[1] 131 milliards d’euros ont été distribués au titre des PGE en 2020.
[2] Quid des fonds de restructuring ? Ils ont peu déployé d’argent. En 2020, on dénombre 38 000 faillites, soit 20 000 de moins qu’en 2019. Du fait des aides publiques, paradoxalement, la plupart des sociétés sont en trésorerie positive.
[3] CEVA Santé Animale et Biogroup.
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