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Portrait d'entrepreneurs - Mathieu Toulemonde, CEO AGOTERRA

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Ils sont le cœur de la fondation, celles et ceux qui nous font partager leurs plus belles aventures et leurs challenges les plus difficiles, dont nous adorons suivre l’évolution, comprendre le produit, analyser le marché… Focus sur nos lauréat.es à travers une série de portraits. ❤

En Europe, moins de 1% de la compensation carbone soutient des projets dans l’agriculture, secteur pourtant en mesure de lutter efficacement et de manière variée contre les émissions de CO2, par le passage à une agriculture régénératrice. AGOTERRA (ex-TerraTerre) intervient en permettant de rapprocher le monde de l’entreprise et le monde agricole pour passer d’une agriculture conventionnelle à une agriculture régénérative.

AGOTERRA accompagne les entreprises (Dior, Innocent, Carrefour, OVH, etc.) qui souhaitent entreprendre une action climat avec un fort impact local et social. AGOTERRA soutient plus de 2000 agriculteurs du territoire à passer à une agriculture régénératrice et bas carbone, grâce à une plateforme composée de deux interfaces fonctionnelles, destinées d’un côté aux entreprises et de l’autre aux organismes accompagnant et encadrant les agriculteurs.

  • Qu’est-ce qui t’a poussé à entreprendre ? Le déclic ? D’où te vient ton goût pour l’entrepreneuriat ?

Ce qui m'a vraiment incité à me lancer dans le monde de l'entrepreneuriat, c'est le désir de liberté et la possibilité de développer des initiatives collectives. À mon avis, entreprendre n'est pas une aventure solitaire ; c'est vraiment une démarche collaborative. L'objectif est de rassembler une équipe autour d'une vision, d'un projet et de l'impact que nous souhaitons avoir. Cela permet de faire croître et d'adapter l'équipe en fonction d'un objectif commun, que j'aime à appeler "étoile polaire". Cette dernière, selon moi, doit rester constante afin de garantir que l'impact recherché ne soit jamais compromis.

  • De quel constat est né le projet Agoterra, anciennement TerraTerre ?

Le projet AGOTERRA est né d'une expérience personnelle. Après mon retour de Hong Kong, il y a trois ans, j'ai renoué avec la ferme familiale située à Villeneuve d'Ascq, près de Lille. C'est une exploitation agricole de 60 hectares que nous avons décidé de convertir à l’agriculture biologique.

Nous avons rapidement pris conscience des défis financiers et des risques associés à cette transition. Cela nous a donc amenés à réfléchir sur la possibilité de rechercher un co-financement auprès d'entreprises locales. Nous nous sommes rapprochés du label Bas Carbone, un label ministériel qui permet de valoriser les réductions d’émissions à l’échelle de la ferme, et ainsi de générer des crédits carbone. Ce sont ces mêmes crédits carbone qui, une fois vendus à des entreprises partenaires, nous ont permis de fiancer une partie de la transition de l’exploitation.

Cette réussite m'a encouragé à collaborer avec d'autres acteurs du secteur, comme des coopératives agricoles et des chambres d'agriculture, pour voir comment nous pourrions, collectivement, aider davantage d'agriculteurs à faire cette transition conséquente.

  • Peux-tu nous présenter plus en détails la plateforme proposée par AGOTERRA ? Peux-tu nous en dire plus sur la contribution apportée par les deux interfaces pour les entreprises et collectivités locales ainsi que les organismes accompagnant et encadrant les agriculteurs ?

La prise de conscience que j’ai pu avoir au cours de mon expérience à Hong Kong fut le point de départ de la création de la plateforme. J'étais responsable d'une équipe et nous avions réduit de manière significative nos vols et nous avons décidé de compenser nos émissions résiduelles. Nous avions opté pour la plantation d'arbres en Inde, mais le manque de transparence et surtout de visibilité de l’impact réel de cette pratique ne me convenait pas. La communication autour de ce geste me semblait superficielle, voire trompeuse. C'est pourquoi, quand j'ai décidé de m'orienter vers le financement de la transition agroécologique via les crédits carbone, j'ai insisté sur l'importance de la transparence et de la traçabilité.

Notre plateforme offre aux entreprises et aux collectivités locales la possibilité de suivre, en temps réel et à moins de 100 kilomètres de leur site, comment leur investissement contribue à la transition agroécologique. Elles peuvent voir les nouvelles pratiques agricoles adoptées et valoriser leur impact sur la qualité de l'eau, de l'air et de la biodiversité. Du côté des agriculteurs, nous avons rapidement compris qu'une approche collective était essentielle. Notre plateforme sert donc aussi de point de ralliement pour les organismes qui encadrent les agriculteurs, permettant de passer à une échelle supérieure sans avoir à faire du porte-à-porte.

L'aspect collectif est capital pour la réussite des transitions agroécologiques. En créant des groupes d'agriculteurs qui s'engagent simultanément dans cette transition, nous facilitons le partage de bonnes pratiques et la motivation à atteindre les objectifs fixés pour obtenir le label et générer des crédits carbone. Notre plateforme n'est pas qu'un outil de suivi; elle devient un lieu de partage et de motivation pour que les agriculteurs atteignent leurs objectifs.

Cela dit, bien que la plateforme soit centrale, elle ne remplace pas l'importance de l'expérience directe sur le terrain. Nous encourageons les entreprises à se rendre directement sur les fermes pour voir comment leurs investissements se traduisent en actions concrètes, que ce soit la plantation de haies, l'achat de matériel pour du désherbage mécanique, ou le choix de cultiver du colza local au lieu d'importer du soja brésilien qui contribue à la déforestation. Rien n'est plus impactant que cette connexion directe avec les exploitations et la terre en général. Le contact humain et l'expérience physique restent essentiels dans notre démarche.

  • Quels sont les différents canaux d’acquisition utilisés par AGOTERRA pour obtenir dans son portefeuille des structures aussi variées, entre les entreprises, les agriculteurs ainsi que les organismes accompagnant les agriculteurs ?

Notre approche repose sur un développement organique et bien réfléchi, adapté aux spécificités des entreprises et des agriculteurs. Nous rejetons le modèle purement transactionnel d'achat de crédits carbone qui n'apporte pas de valeur ajoutée aux territoires ou aux entreprises. Par exemple, acheter des crédits carbone bon marché au Malawi n'engendre aucun impact concret. C'est pourquoi nous nous alignons davantage avec la chaîne de valeur de nos partenaires. Travailler avec Innocent sur des fermes en arboriculture ou avec Pierre Fabre sur les plantations de plantes à parfum permet de créer une histoire qui a du sens et de l'impact, bien au-delà d'une simple publication relayée sur LinkedIn.

Nous avons une règle : nous travaillons uniquement avec des fermes situées à moins de 100 kilomètres de nos entreprises partenaires. Cette proximité engendre un véritable engagement et maximise l'impact. Ce n'est pas simplement une question de travailler avec des fermes françaises; c'est une question d'échelle territoriale qui, pour nous, est fondamentale pour créer de la valeur et de l'impact durable.

  • Comment avez-vous réussi à autant diversifier votre portefeuille d’entreprises clientes, avec certaines parfois bien éloignées des enjeux/problématiques rencontrées par les exploitations agricoles ?

Dès nos débuts, nous avons su diversifier assez naturellement notre portefeuille d'entreprises clientes, y compris des entreprises comme OVHcloud, Dior ou encore Guerlain Paris, qui pourraient sembler de prime abord éloignées des enjeux agricoles.

Le point commun de ces entreprises est qu'elles sont toutes en processus de transition écologique. Elles ont déjà réalisé leur bilan carbone et cherchent des moyens concrets pour réduire leur empreinte. C'est cette prise de conscience collective, que tout est lié au vivant qui les pousse à collaborer avec nous.

Cependant, notre travail ne s'arrête pas là, nous nous engageons aussi profondément dans leur chaîne de valeur, en identifiant des fournisseurs et des matières premières qui peuvent être améliorées du point de vue du carbone. Au lieu de se concentrer sur la compensation carbone, nous visons la réduction de l'empreinte globale, ce qui a un impact durable et irréversible. En fin de compte, notre mission s'inspire de l'agora de l'Antiquité grecque, un lieu d'échange et de débat, et vise à mettre le collectif au service de la Terre. Pour nous, la transition écologique ne peut être réussie que si elle est réellement collective.

  • Au-delà des crédits carbone, le changement de comportement au sein des entreprises est également crucial. Comment encouragez-vous les entreprises avec lesquelles vous travaillez non seulement à acheter des crédits carbone, mais également à adopter des pratiques internes qui contribuent à la durabilité ?

Une des méthodes que nous utilisons est la pédagogie et la sensibilisation, notamment à travers des visites de fermes pratiquant l'agriculture régénératrice. Nous considérons que la pédagogie est un outil puissant et centrale pour engager les entreprises à adopter des pratiques durables au sein de leur chaîne de valeur. L'agriculture, qui est très enracinée dans la culture française, sert souvent de point de départ pour cette éducation. Nous mettons l'accent sur l'importance de la biodiversité, de la régénération des sols, et d'autres aspects liés à la transition écologique.

Généralement, notre point d'entrée au sein des entreprises est la directrice ou responsable RSE. Très rapidement, nous élaborons ce que nous appelons des "plans d'impact" en collaboration avec la direction de l'entreprise. Ces plans visent non seulement à réduire l'impact environnemental, mais également à créer un impact business positif. A titre d’exemple, avec chacun de nos clients, avant même de discuter de solutions spécifiques, nous nous projetons à cinq ans dans le futur et imaginons ce que l'entreprise voudrait avoir accompli d'ici là en termes de durabilité. Cette vision à long terme sert de guide pour nos actions futures et engage non seulement l'entreprise elle-même, mais aussi ses fournisseurs et ses clients dans une démarche plus globale de durabilité.

  • Quel a été l’impact des différents programmes d’accompagnement auxquels vous avez-eu accès (Hectar, RAISE Sherpas) sur le développement de votre entreprise ?

L'impact des programmes d'accompagnement comme Hectar et RAISE Sherpas sur le développement de notre entreprise a été significatif. Ces programmes nous ont apporté non seulement des connaissances et des compétences, mais aussi des réseaux qui nous ont été très utiles. Par exemple, grâce à ces programmes, nous avons pu nouer des relations avec des grandes entreprises, ce qui a considérablement aidé notre croissance. En moins de deux ans, nous avons signé avec 50 grands groupes, et cela en grande partie parce que nous avons été bien accompagnés et introduits dans ces réseaux.

Pour les entreprises qui envisagent de participer à des programmes d'accompagnement ou d'obtenir des prêts d'honneur, je recommanderais fortement de le faire. Ce sont des opportunités non seulement pour obtenir des fonds, mais aussi pour acquérir des connaissances, des compétences et des contacts qui peuvent être extrêmement précieux pour le développement de la startup. Mais il faut aussi savoir être sélectif et s'assurer que les partenaires, les clients ou les opportunités correspondent aux valeurs et aux objectifs de l'entreprise.

  • Comment sont définis les objectifs et canaux d’actions utilisés dans la décarbonation des exploitations agricoles financées par les entreprises et collectivités locales ?

L'approche de la décarbonation des exploitations agricoles financées par des entreprises et des collectivités locales repose sur un "plan carbone" spécifique à chaque agriculteur. Ce plan, loin d'être imposé par les financeurs, est en fait conçu par l'agriculteur lui-même et peut comprendre jusqu'à 30 actions différentes.

Ces actions sont orientées sur deux axes majeurs : d'abord, la réduction de l'empreinte carbone de l'exploitation, qui peut être atteinte par divers moyens, tels que l'utilisation réduite de tracteurs ou d'engrais azotés, contribuant ainsi à une diminution des émissions de gaz à effet de serre. Le deuxième axe concerne l'augmentation du stockage de carbone dans les sols, notamment à travers des techniques comme la mise en place de cultures intermédiaires ou l'implantation de haies. L'agriculteur a également la flexibilité de décider du calendrier de mise en œuvre de ces leviers d'action, ce qui permet une personnalisation maximale du plan en fonction des spécificités de chaque exploitation. De plus, cette méthodologie permet un certain degré de "match-making" entre les entreprises financières et les agriculteurs, en fonction des besoins en impact environnemental exprimés par l'entreprise, que ce soit en termes de qualité de l'eau, de l'air ou de biodiversité.

Quant à la question de l'expansion et de l'évolution du modèle, l'entreprise adopte une philosophie prudente, favorisant une croissance organique et mesurée. Cette approche est guidée par un souci d'éviter de faire des promesses qu'elle ne pourrait pas tenir, notamment envers les agriculteurs qui font partie intégrante de leur modèle. L'accent est également mis sur la régénération des territoires et la reconnexion au vivant, plutôt que sur une croissance rapide mais potentiellement insoutenable. Ce choix délibéré pour une croissance organique s'accompagne d'une diversification des projets, notamment dans des domaines comme la biodiversité, pour répondre aux besoins variés de leurs clients.

  • Comment visualises-tu, à l’horizon 2050, la place de l’agriculture régénératrice dans la décarbonation de l’environnement ?

L'agriculture régénératrice pourrait jouer un rôle crucial dans la décarbonation de l'environnement d'ici 2050, mais seulement si un virage fondamental est pris dès maintenant. Contribuant à environ 25% des émissions de gaz à effet de serre mondiales et 20% au niveau français, l'agriculture est au cœur de nombreux enjeux climatiques, touchant les sols, la biodiversité et notre alimentation.

Préserver et régénérer les puits de carbone naturels comme les forêts, les océans et les sols agricoles est impératif, car ils fournissent d'innombrables services écosystémiques. Cependant, le manque de mesures correctives peut rendre irrémédiables certains dommages déjà causés. Par conséquent, les entreprises, disposant des moyens financiers et humains, ont un rôle clé à jouer dans cette transition, non seulement pour réduire leur propre impact environnemental, mais aussi pour régénérer ces systèmes vitaux. Ce faisant, elles donneront un sens profond à leur mission et à leur chaîne de valeur.

  • Quels sont les enjeux clés, les points de focus, et les gains à court terme versus long terme pour rendre une chaîne de valeur agricole plus durable ?

La transition vers une agriculture plus durable et respectueuse de l'environnement est complexe et multi-dimensionnelle, nécessitant une approche globale pour aborder les différents défis. Un obstacle majeur à cette transition est le coût, tant financier qu'en temps et en ressources humaines, qui peut dissuader les agriculteurs d'entreprendre des changements nécessaires. Il est donc crucial de provoquer un "électrochoc" pour inciter à un changement de paradigme dans le secteur agricole.

La première étape dans la motivation des agriculteurs réside souvent dans la revalorisation de leur métier. Beaucoup d'agriculteurs possèdent déjà un sens aigu de la responsabilité écologique; il s'agit donc de capitaliser sur cet état d'esprit pour encourager une agriculture qui soit au service du vivant et de la biodiversité. La reconnaissance sociale et la valorisation du rôle de l'agriculteur dans la société peuvent servir de puissants moteurs de changement. Le deuxième levier pour accélérer cette transition est le soutien financier. Ce "coup de pouce" peut provenir d'entreprises extérieures ou de fonds spécialement dédiés, et il a souvent l'effet d'un catalyseur, permettant aux agriculteurs de franchir le pas et d'investir dans des pratiques plus durables. Le troisième et dernier levier est l'acculturation et la formation. Cela peut prendre la forme de programmes de formation en agronomie, en techniques de conservation des sols, ou en méthodes de stockage du carbone, par exemple. L'idée est de favoriser une approche collective où les agriculteurs peuvent partager leurs expériences et leurs connaissances, renforçant ainsi le sentiment qu'ils ne sont pas seuls dans cette transition.

  • Comment appréhendez les changements potentiels dans l'environnement réglementaire concernant les crédits carbone et la réduction des émissions, qui pourraient avoir un impact sur les opérations de votre startup ?

La gestion de l'incertitude réglementaire, en particulier en ce qui concerne les crédits carbone et la réduction des émissions, est un enjeu majeur pour les startups opérant dans ce domaine. Afin de minimiser les risques associés aux changements potentiels de politiques, la collaboration intersectorielle apparaît comme une stratégie efficace.

De plus, l'association siège à Bruxelles pour participer activement à la rédaction de la nouvelle législation européenne sur le "carbon farming". En se positionnant ainsi comme parties prenantes et experts du terrain auprès des instances gouvernementales, ces entrepreneurs ont non seulement une influence sur les décisions politiques mais aussi un accès privilégié à des informations qui leur permettent d'anticiper les changements réglementaires. Ce type d'initiative collective permet donc de mitiger les risques tout en consolidant la crédibilité et la réputation d'un secteur en plein essor.

  • Chez RAISE Sherpas, nous accompagnons au quotidien plus de 200 startups dans des secteurs très variés, en tant que CEO d’une agritech en plein développement, quels conseils/leviers actionnables donnerais-tu à d’autres CEO de la communauté RAISE Sherpas ?

Si j'avais un conseil actionnable à donner aux autres CEO de la communauté RAISE Sherpas, ce serait de ne pas sous-estimer le pouvoir de la collaboration. Dans mon entreprise et au sein du secteur agritech en général, le facteur qui nous a réellement propulsés, c'est notre volonté constante de chercher des opportunités de travailler avec d’autres acteurs complémentaires. En fin de compte, les partenariats stratégiques et les collaborations authentiques peuvent souvent vous emmener beaucoup plus loin que ce que vous auriez accompli seuls.

Cette mentalité vient en partie de mon expérience dans le milieu entrepreneurial asiatique, où la collaboration est profondément enracinée dans la culture. Alors, posez-vous la question : pourquoi essayer de tout faire seul quand vous pouvez réaliser quelque chose de plus grand en unissant vos forces ?

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